Franck Demissy, le marteau de Thor
D'où vient Franck Demissy, colosse à l'allure nordique, et qu'a-t-il vu pour réaliser ses œuvres à peine définissables ? Il y a chez le jeune artiste les signes évidents d'une appartenance à un ailleurs, à une autre civilisation. Ces créations, mobilier extraterrestre, semblent sortir des rêves les plus fous, appartenir à un peuple dont les dimensions et les penchants sont soumis à une inquiétude latente. Or, quoi qu'il ait vu, nous le voyons aussi : ses sculptures déchirent notre réalité en s'imposant à nous et leur souvenir réside en nous longtemps après.
Pas d'école d'art pour cet autodidacte, pas de formation traditionnelle, de pratique sage en atelier à observer puis reproduire les gestes sûrs d'un professeur. Demissy est mécanicien soudeur de profession. Une expérience des outils et de la transfiguration du métal qu'il a patiemment acquise avant de la retourner contre sa fonction primaire, contre sa fonction terrestre. Ailleurs, son esprit s'est lentement éloigné des gestes de son métier, pour répondre au besoin des formes dictées non par nos coutumes, mais par des considérations inconnues, non humaines.
Très vite à court de matières premières d'origines inconnues, le sculpteur s'est livré à la récupération.
Là encore, la logique de recherche qui est la sienne dépasse en tout notre entendement : car ce qui pourrait servir à un autre, ce qui semblerait offrir le matériau nécessaire à inspirer un artiste, lui le rejette, sans même le voir ; ce sur quoi ses yeux vont s'arrêter est une énigme, un coup de cœur. L'a-t-il déjà vu ailleurs, assimilé à une fonction pour nous inconnue ? Peut être. Toujours est-il que très vite, la chose va reprendre la, les formes, qu'elles occupent dans son esprit.
Mettre deux réalités distinctes en connivence implique forcément d'en bouleverser une. Et, en terme de bouleversement, les procédés qu'emploie Demissy ne sont pas à mettre entre toutes les mains. L'atelier de l'artiste se trouve aux enfers, là où le feu et le métal ne sont qu'un, là où l'on ne peut se rendre, là où l'on ne peut voir. Le bruit, la chaleur, les attaques répétées contre la matière, meuleuses, compresseurs, jets d'eau de mer, finiront par donner à sa substance l'aspect qu'il veut qu'elle ait. Son métal se balafre, se ride, se crible de tatouages, de détails et de défauts dérangeants de vérité. De sa forge sont sortis des objets destinés à d'autres êtres, des objets sur lesquels ils vont pouvoir sasseoir, boire, manger, à la lumière desquels ils vont lire, discuter, rêvasser sous nos yeux incrédules.
Julien Carrière
Je ne fais ni de l'Art pour l'Art, ni de l'Art contre l'Art. Je suis pour l'Art, mais de l'Art qui n'a rien à voir avec l'Art, car l'Art a tout à voir avec la vie. ( Robert Roschenberg )